Le sol de béton lisse était glacial sur ma peau nue, j'étais roulée en boule dans un coin du garage, l'air empestant le sang et la poussière. Les yeux fermés, je ne parvenais pas à reprendre pied. Humaine, je suis humaine, alors qu'avais-je été l'autre nuit ?
Une larme roula sur ma joue, s'échappant de mes paupières closes, cette nuit a été la plus dure de toute ma vie. La peau qui s'étire, les os qui se ratatinent, les dents qui poussent et cette irrémédiable impression de se perdre soit même. Je me croyais une étrangère dans mon propre corps, une fille intangible, à deux existences : humaine et lupine. La première transformation était toujours la pire.
Je ne savais pas vraiment depuis combien de temps j'étais là, immobile, à simplement occuper l'espace. Depuis plusieurs heures surement, mais je n'arrivais pas à sortir des limbes de ma mémoire animale. Je me souvenais vaguement avoir couru. Les chaines n'avaient pas tenu, en effet je ne sentais plus le lourd poids de mes liens sur mes poignets et mes chevilles. Avais-je des poignets et des chevilles ? Oui elles sont bien là !
Je m'agitais doucement et parvenait à soulever une paupière. La vision apocalyptique du garage me força à ouvrir correctement les yeux. Les murs étaient marbrés de profondes griffures, des bouts de bois trainaient un peu partout, j'avais du me faire les crocs sur un meuble, impossible de définir exactement lequel. La porte du garage était défoncée, j'allais devoir inventer un mensonge pour la faire réparer. Du sang trainait ça et là, par petites flaques avec parfois des empreintes de loups par intermittence. Il se pourrait qu'un habitant du quartier ne retrouve pas son chien aujourd'hui.
Et au milieu de ce chaos il y avait moi. Complètement nue, repliée comme un papillon aux ailes brisées, je sentais le sang sur ma peau. Des effluves amères semblant appartenir à un autre monde.
J'apercevais un plaid vert posé sur une étagère qui avait miraculeusement survécut au massacre. Vert, ma couleur préférée. J'aurais voulu me lever pour le saisir, faire taire la fièvre glaciale qui s'emparait de mon corps, mais je ne m'en trouvais pas la force. Soudain je songeais que c'était arrivé. J'avais tué une personne. Et j'étais devenu un monstre.
Un gros sanglot ébranla mon corps, c'était trop. Je ne voulais pas de cette vie, condamnée à être l'esclave d'une bête, qui chaque pleine lune possède ma raison, mon cœur et mes passions. En moi bruissait cette chose sans nom qui m'avait donné la fièvre et collé à la peau cette étrange odeur. Si pour l'instant, elle ne me faisait pas mal, je n'allais pas bien non plus, et je comprenais à présent pourquoi je désirais tant la présence de quelqu'un.
J'avais peur.
Alors je restais là, pleurant ma perte dans l'ombre, attendant de trouver le courage de me mettre debout, de continuer à vivre, dans la peur de la prochaine pleine lune.