Je courais, toujours plus vite, sans me soucier de mes muscles me criant de m'arrêter ni de mes poumons en feu, comme si ma vie en dépendait (ce qui était probablement le cas !). Mon souffle formait des nuages de vapeur dans l'air froid de la nuit, les pavés au sol paraissaient vouloir me faire trébucher à chaque foulée, les rouages de mon esprit étaient encore paralysés par la scène à laquelle je venais d'assister, mais je courais toujours, poursuivie par mon cauchemar, poursuivant moi-même un but qui n'était que très flou dans ma conscience engourdie. Je fuyais. Et une part de moi détestait cette attitude, me traitant de lâche. Mais elle était infime, minuscule, très négligeable, et je savais pertinemment que ma fierté n'avait pas sa place dans ce monde nocturne.

Où allais-je ? Je n'y avais pas réfléchi, toute à mon désir de m'éloigner le plus loin possible du carnage et son générateur, prenant les rues au hasard là où ma terreur voulait bien me guider. Mais lorsque le croisement surgit devant moi, je fus bien obligée d'y songer. Quelle direction prendre ? Je lançai des regards éperdus autor de moi, à la recherche d'une illumination, d'un signe, n'importe quoi qui permettrait de me sauver la vie, et accessoirement de prouver l'existence d'une justice divine dans ce bas monde. Gauche ? Droite ? Tout droit ? Je ne savais même pas où je me trouvais. Je perdis de précieuses seconde à hésiter, et j'entendis les pas de mon poursuiveur se rapprocher dangeuresement. Un panique atroce me noua les entrailles, et une giclée d'adrénaline remis mes jambes en mouvement telle une machine bien huilée. Mais soudain, je me sentis mal. Mon coeur rata un ou deux battements et je faiblis brusquement, comme si mes forces m'avaient quittées. L'instant d'après, tout était rentré dans l'ordre, et je redoublai d'effort pour avancer plus vite, ignorant les plaintes que poussait mon corps déconcerté par ces attaques. Le phénomène recommença. Cette fois, je ne me laissai pas surprendre ; mon organisme devait y être préparé. Il fut moins violent que le précédent, mais je perdis tout de même du terrain. Mais que me faisait-il ? Que me faisait-il ? Que me faisait-il ? Cette unique question tourbillonnait dans mon esprit confu, sans parvenir à trouver de réponse.

Le tueur n'était plus qu'à quelques mètres de moi, à présent. L'affolement commençait à me gagner de toute part, rendant mes mouvements désordonnés. Il fallait que je trouve quelque chose pour le ralentir... J'avais encore assez de lucidité pour me rendre compte que je ne m'en sortirais pas sans ça. Alors que je m'engouffrai dans une énième ruelle, j'avisai un muret d'environ ma taille qui séparait deux maisons délabrées. Une idée me traversa l'esprit, et je décidai de la mettre en pratique avant d'avoir trouvé des arguments pour m'en dissuader moi-même. Je ralentis ma course et feins de m'arrêter, vaincue par l'épuisement. J'attendis une poignée de secondes, tendue comme un arc, mon coeur battant un saccatto affolé dans une vaine tentative d'alimenter mes muscles en oxygène, tremblante sous l'effet de la fatigue et de la peur devant mon imprudence. Alors que l'homme arrivait à la hauteur du mur, je mis mes talents en marche, et adressai à un dieu en lequel je n'avais jamais eu foi une ultime prière silencieuse.

Le mur explosa, les briques volant et s'écrasant au milieu du passage, disloquées, brisées, soufflées par mon seul don, accompagnées d'un nuage de fumée et de gravats qui se mirent à pleuvoir. Je fus prise d'une quinte de toux irrépressible lorsque la poussière s'abattit sur moi et m'irrita les yeux au point de les embuer de larmes. La seule partie de mon esprit encore en état de pratiquer l'ironie fit remonter à la surface de ma mémoire la chanson qui m'avait trotté dans la tête toute la journée, intitulée "Don't hold your breath". Ce qui m'amena à m'interroger un bref instant sur la qualité de mon humour. A mon avis, j'avais un peu trop versé dans le sarcasme, ces derniers temps...

Puis je repris ma fuite désespérée, en espérant un seule chose : que mon mystérieux poursuivant ne fût pas insensible aux chocs.